jeudi 15 septembre 2011

La Conquête de la Gloire


Moi, Timon, dit Stratège, aimé des Dieux, et favori d’Athéna Aidæia, Souverain de la majeure partie du monde connu, en cette vingt-sixième année de mon existence, j’ai tenu à extraire de mes notes quotidiennes les faits les plus marquants de ma vie afin d’en livrer un récit clair.
Ce que j’ai accompli, aucun homme avant moi ne l’avait fait, et je pense qu’aucun homme après moi ne l’accomplira de nouveau.
[...]

I 
Prélude, l’Enfance

Mon père se nommait Alcibiade, il était le chef de la Gentè des Hemneacides d’Oropos. En tant que tel, il était un des rois de la cité, ayant sa place au Conseil qui dirigeait Oropos.
Fils cadet, il avait beaucoup voyagé avant de revenir à Oropos, où la mort de son frère aîné avait fait de lui l’héritier des Hemneacides.
[...]


Étrange « instrument » que le souvenir. J’étais persuadé que le premier roman que ma Grâce condescendit à laisser entrevoir aux manants dénommés éditeurs se nommait Timon Stratège ou La création d’un Empire. En réalité, il était intitulé La Conquête de la Gloire, ou la création d’un Empire... Un titre, il est vrai, plus en accord avec ma légendaire et proverbiale modestie. Il est cependant, et certes, fort possible que Timon Stratège ou... correspondit à celle de la quatrième version que j’avais entrepris, et dans l’idée qu’un tel titre semblerait moins « se la péter ». Qu’on me pardonne la familiarité de cette expression, si peu conforme à notre époque toujours si soucieuse d’élégance et de raffinement. Ouesh ouesh, gros, me souffle dans le pavillon de l’oreille mon camarade suburbain du quatrain (certains habitent le neuftrois, en ce qui me concerne, je réside en ce beau département du quatrain... admettez tout de même que c’est plus seyant, et forcément plus poétique, que quatre-un...).

J’étais de même persuadé que la déesse Athéna de mon histoire était surnommée Aphaïa, alors que c’est en vérité Aidæia... Stupéfiant ! Comment ai-je pu ainsi en oublier jusqu’au fondement des Saintes Écritures du Cyrilisme Nébulosien !? On se le demande encore... Il s’en passera des conciles œcuméniques avant que cette délicate querelle cyrilologique soit tranchée.

Une bien charmante Athéna...

Plus grave, néanmoins, et qui peinera tous les adeptes de la Vraie Foi, qui Me louent chaque matin, midi et soir (selon prescription médicale) d’avoir connu cette grâce ineffable qui fit que Je Me mis sur leur chemin, de pauvres pêcheurs indécrottables. Et depuis lors, leur quotidien en est transfiguré. C’est sûr, devoir me supporter chaque jour que Je fais, voilà qui forge un caractère... Vivacité d’esprit (« mais qu’est-ce qu’il dit ? Bon, sang, qu’est-ce que ça veut dire !? »), souplesse d’échine et capacité d’adaptation (« mais bon sang, il y a trois heures, tu affirmais le contraire ! »), travail sur soi-même (« ne pas craquer... ne pas craquer... ne pas... »), volonté d’acier (« ne pas craquer... ne pas... »), tolérance et pacifisme (« ton poing dans sa figure, tu ne mettras point... »), et enfin, cerise sur le gâteau, lucidité (« ce type est complètement givré ! »).

Ousque donc, je disais... Mais est-ce bien important vu que la plupart des lecteurs de cette note ont dû fuir depuis longtemps devant mes digressions qui sont autant de chausses-trappes destinées à leur faire lâcher prise (« fausse-modestie.uberblog.com c’est plus fort que toi ») ? Je disais donc... que j’ai perdu les fichiers initiaux de ce premier roman, et que j’ai dû aller fouiller dans ma bibliothèque pour retrouver une version imprimée. Et que je tiens bien à ce qu’on me tresse des louanges pour cela !

Et désormais seul l’écho répondait à ses paroles, car c’était seul que le poète maudit qui s’était cru intéressant et drôle s’égosillait dans la grotte des vaines apparences. Ô s’il avait lu Platon, Kant et Nietzsche, plutôt que de faire la mariole ! Serait-ce donc arrivé !? Ô oui, certainement, mais au moins il aurait encore pu se la jouer « homme de culture qui balance des citations mal-à-propos » dans des dîners en ville, alors que cela lui était interdit, ô homme de peu de foi. 


Pour revenir et conclure sur la trame de La Conquête de La Gloire, elle suivait bien sûr celle de la première version, puis de la seconde : Attique (Oropos est une ville à la frontière de l’Attique proprement dite), puis Crète, enfin Chios. Mais là où la seconde version faisait de Timon un mercenaire prenant le pouvoir dans la cité de Mallia, La Conquête de la Gloire le voyait adopté par un des puissants de la cité, Léosthène le Léocléide (« descendant de Léoclès »), polémarque de Néa-Mallia. Son manque de respect de l’éducation dispensée à l’élite dorienne provoquera une crise qui l’oblige à fuir, après l’assassinat de son père adoptif. Réfugié dans l’arrière-pays, il se fait l’étendard et le protecteur des Achéens et des Étéocrétois dominés et exploités par les Doriens. Menacé par la cité voisine de Dréros, il prend les devants et grâce à des complicités s’empare de son acropole lors d’un raid audacieux. Mais la puissante cité dorienne de Lyktos envoie une expédition vers le plateau du Lassithi (là où il avait trouvé refuge), en vue de mâter cette aventure « rebelle » qui la menace. Trop confiante, la fine fleur de l’aristocratie lyktienne, lourdement armée, se fait prendre au piège par les archers et la cavalerie de Timon, qui commence à être surnommé « Stratège » (« meneur de troupes »). Peu après, la cité de Lyktos est prise. S’ensuit la cité de Néa-Mallia, où Timon, fils adoptif de l’ancien polémarque, conserve des « partisans » et amis, et qui tombe pratiquement sans coup férir. Dès lors, c’est pratiquement toute la Crète qui va tomber dans l’escarcelle de Timon Stratège, soit par conquête (les premières procédant, là encore, de ripostes à l’alliance des cités doriennes qui se coalisent pour écraser ce fauteur de troubles qui pousse leur paysannerie à la révolte), soit par l’alliance (avec des cités achéennes ou étéocrétoises). Après quoi, viendra l’empire maritime (la flotte crétoise, constituée à l’exemple de celles des cités phéniciennes, n’ayant aucun mal à dominer l’Égée, où elle ne rencontre strictement aucune rivale), et les aventures se ferment sur ce premier « volume » alors que la flotte de Timon s’apprête à cingler vers Chypre.

Un dernier mot sur la Crète... Doriens, Achéens, Étéocrétois, qu’est-ce donc ? La Crète de l’époque était devenu une sorte de conservatoire de toutes les invasions des peuplades hélléniques. Les Étéocrétois (« Vrais Crétois » en grec ancien) sont considérés comme la « première strate de population », les premiers habitants des temps historiques, ceux de l’époque du fameux Minos (Dédale, Minotaure, etc.), appelés par l’archéologue sir Arthur Evans, découvreur de leur civilisation, les « Minoens ». Vers 1500 avant J.C. leur civilisation palatiale s’effondre (certains pensent qu’il s’agit d’une conséquence du terrible tsunami qui dut suivre l’explosion du volcan de Santorin, qui souffla dans l’atmosphère la majeure partie de l’île de Théra). Surviennent alors les Achéens, appelés aussi Mycéniens, du nom de la plus imposante des forteresses « cyclopéennes » de leur civilisation, et qui vont occuper durant quelques décennies le fameux palais de Knossos, alors que ceux de Phaïstos et Zakros sont abandonnés. Si les Étéocrétois ne sont pas des Grecs (le terme d’Hellènes serait plus juste), les Achéens le sont, et ils supplantent les « Minoens » sur une partie de l’île. Vers 1200 avant J.C. survient ce que les historiens grecs anciens nomment la « descente des Héracléides », eux-aussi des Hellènes, « cousins » des Achéens, demeurés dans le nord de l’actuelle Grèce, peu civilisés, plus frustres, et qui détruisent la civilisation mycénienne. Les Héracléides (« descendants d’Héraclès » car tel était la croyance de l’époque), ou Doriens, submergent presque tout le Péloponnèse et la Crète. L’île est alors une sorte de patchwork : la péninsule orientale reste le domaine des Étéocrétois, le reste de l’île est le domaine des Doriens, qui y dominent, selon des régions, des populations d’Achéens ou d’Étéocrétois (et probablement, parfois, un mélange des deux), mais quelques cités achéennes demeurent « libres ». Dans l’ouest, il y aurait aussi eu des « Kydoniens » que l’on connait mal, et qui parleraient encore une autre langue (mais auront disparu à l’époque classique). Peu à peu, c’est l’élément dorien qui va submerger tous les autres, et au début de notre ère, il n’y a plus que des Hellènes en Crète, qui parlent un idiome dorien, ou le « koïné », autrement dit la langue commune, qui supplante les idiomes à l’époque hellénistique.


Sources iconographiques :
Illustrations (Arès, Athéna Promachos, Némésis) issues d'un jeu de cartes d'Ystari Games réalisé par Arnaud Demaegd et reproduites avec son aimable autorisation, comme dit si joliment la formule.

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