jeudi 22 septembre 2011

Ægypta

Elle courrait. Ses soyeux cheveux d’or dansant tels l’écume derrière elle, les pieds écorchés, les mains et les bras meurtris, un filet de sang au long de la tempe, elle fuyait. Au travers de la foule exubérante, endormie, dansante, agglutinée au long des rues et ruelles à l’occasion de la Grande Fête de la Déesse, elle se glissait, bondissant au-dessus des corps étendus, évitant les danseurs extatiques ou les festivaliers avinés. Haletante, de plus en plus épuisée, éreintée, passant des zones sombres des ruelles obscures d’une nuit sans lune, aux places brillamment éclairées de lampions, elle fuyait. Parfois, elle s’affalait, provoquant au mieux indifférence, au pire récrimination des fêtards. Le plus souvent, heureusement pour elle, elle esquivait les obstacles. Heureusement, car elle le savait ils étaient à sa poursuite. Forts. Nombreux. Musclés et endurants. Et armés. Et où aurait-elle pu trouver du secours, parmi ce peuple dont elle ne parlait pas la langue ? Parmi ces festivaliers qui n’étaient préoccupés que de la Grande Fête ?
Elle n’avait d’autre ressource que de fuir. Sans savoir où la menait ses pas. La peur au ventre de se retrouver coincée dans une impasse par ses poursuivants.

Ainsi débute Ægypta, qui un temps fut dénommé Nuit Dormante, du surnom que se donne le personnage principal masculin au début du roman, sis dans l’Égypte romaine du règne de Vespasien. Car avant d’être le premier projet de bande dessinée pour lequel je cherchai une collaboration, sur le célèbre forum café salé, Ægypta fut un projet de roman. « Projet », car le récit demeura, sous sa forme littéraire, inachevé. Pourquoi ? Me demanderez-vous peut-être. Et je vous répondrai, bien sûr, par le célébrissime « parce que... ». Les Voies du Seigneur sont impénétrables.

Temple d’Amon

Plus sérieusement, il se trouve que le roman repose en partie sur un mystère et un dissimulation. Le mystère est celui de l’identité exacte de « Nuit Dormante », qui semble être un prêtre égyptien au service (secret) de l’autorité romaine, mais laisse entendre qu’il n’est qu’un fugitif (certes une « couverture » bien commode pour un espion). La dissimulation est celle de Callisto, la jeune fille en fuite du premier chapitre, qui omet de tout dire d’elle-même à ce personnage mystérieux pour qui elle n’éprouve qu’une confiance limitée (craignant d’être retombée entre les mains d’un personnage peu recommandable). Et puis s’enchaînent les événements qui font qu’elle s’enferre dans sa dissimulation qui confine au mensonge. C’est cette dissimulation qui m’est finalement apparue difficile à « gérer », car le récit s’attache à Callisto et à ses pensées et il devenait difficile d’occulter des éléments d’identité absolument fondamentaux quant aux ressorts des sentiments et des émotions de la jeune fille. Certes, j’aurais pu dévoiler son identité réelle au lecteur, mais cela ne me semblait pas très intéressant, d’un point de vue narratif, d’autant que la révélation de cette dissimulation, en fin d’histoire, devait constituer un moment fort, faisant le pendant du dévoilement des mystères de Nuit Dormante. J’ai donc laissé le projet de côté, mais sans cesser d’y revenir pour le mener d’une façon ou d’une autre, et lorsque je me suis rendu compte qu’on pouvait monter des projets de bande dessinée via le net, je me suis tourné vers Ægypta

En vérité, le premier scénario de bande dessinée que j’ai développé est Kaze no Kage (on y reviendra), et le premier projet que j’ai voulu présenter pour trouver un co-auteur est Expérience Interdite – Bienvenue sur les Terres du Prophète (de la science-fiction genre « space opéra » mêlé d’anticipation, dans un univers dystopique, un peu kafkaïen sur les bords). Mais les exigences que j’avais pour le dessin de Kaze no Kage me paraissaient trop élevées pour espérer trouver un pinceau avant que la recherche ne sombre dans les profondeurs du forum (il est certes possible que j’ai eu tort de les juger ainsi, mais c’est un autre débat). Quant à Expérience Interdite, le scénario souffrait (à mes yeux là-encore trop exigeants) de certains moments trop indécis (alors qu’avec l’expérience acquise je me suis aperçu que c’était plutôt une qualité que le scénario possédât une certaine souplesse), et je souhaitais un véritable co-auteur dans la création visuelle de l’univers, sans avoir alors conscience que c’est finalement ce que doit être, et ce que souhaite être, le dessinateur d’une BD de science-fiction. Je restais en fait marqué par mon expérience de game design où strictement rien n’a été entrepris ni dessiné sans que je ne l’eus auparavant précisément décrit (et que tout cela n’eut été bien sûr validé par le chef de projet, et la direction), et j’imaginais que pas mal de dessinateurs attendaient du « prêt à mâcher », autrement dit des descriptions très précises de l’univers visuel : décors, costumes, vaisseaux. Le pire, en l’occurrence, c’est que, des descriptions précises, je pouvais en fournir pour une partie des lieux de l’action, puisqu’avant d’être un projet de bande dessinée, Expérience Interdite fut un projet de jeu vidéo. Mais le dossier me semblait trop « bancal ». Quand je vois les idées qui sont parfois présentées dans la section « scénario » du forum CFSL, j’en souris rétrospectivement... En comparaison, ce dossier, c’était un bunker en béton armé aux murs de quatre mètres d’épaisseur. Mais, pour mon premier post de recherche, je voulais du « solide ». La ligne de défense de l’Atlantique, en quelque sorte. Je me suis donc tourné vers Ægypta.

Grand Temple d’Amon de Thèbes (Karnak)

Nuit Dormante – Ægypta, ce projet qui m’avait tant tenu à cœur sans que je parvienne à le réaliser sous forme littéraire, possédait en effet l’avantage d’avoir été travaillé en profondeur. Pour reprendre une formule, je possédais les personnages sur le bout des doigts, la trame était solide, et détaillée (le tout basé sur une solide documentation), et finalement ce qui était un défaut pour le littéraire « psychologique » devenait un atout pour la bande dessinée, où il s’agit plus de montrer, et où l’ellipse est reine. L’ellipse, la voilà la solution à mes difficultés de « dissimulation ». L’on montre, l’on laisse entendre, et l’on n’est plus dans la tête de Callisto, mais on l’accompagne ainsi que Nuit Dormante.
Avec elle, et lui, l’on passe donc de la ville de Bouto dans le nord du Delta, à Alexandrie, puis l’on remonte le cours du Nil pour gagner la ville de Tentyris, où débute le festival de la Bonne Réunion, grande fête religieuse de la Thébaïde (région sud de l’Égypte ancienne), qui va nous conduire jusqu’à Appolonospolis Magna (Edfou), en passant par Thèbes et Hiérakonpolis. Tout en découvrant de nouvelles facettes de Nuit Dormante « Hornefer » et cependant que Callisto se sent tout aussi bien rassurée qu’épiée, l’on y vivra, dans ce sud lointain où Alexandrie ne semble être qu’un rêve, les festivités s’étalant sur quatorze jours et retraçant les épousailles d’Hathor de Tentyris et d’Horus de Bakhtis (c’est le nom du dieu d’Appolonospolis Magna), et la victoire de ce dernier sur Seth. Enfin, la naissance d’Harsomtous-Ihy, fils d’Hathor et d’Horus, qui symbolise la renaissance de la végétation, et surtout, surtout, la venue du don du Nil : la crue ! L’inondation, aujourd’hui disparue du fait du barrage de Nasser, et qui apportait le fertile limon.
Et pour reprendre et conclure notre fil, Callisto découvrira ensuite les routes du désert qui mènent du Nil à la Mer Rouge. Elle y fera de très mauvaises rencontres, qui la précipiteront dans des situations encore plus inattendues et incongrues. Nuit Dormante se portera à son secours... Et c’est à Coptos, sur le Nil, que le mystère et la dissimulation s’évaporeront enfin comme neige sous l’œil de Rê.

Œil d’Horus

Sources iconographiques :
Les illustrations du temple d'Amon sont issues du Tome 1 de L’Égypte Restituée, aux éditions Errance.
L’œil d’Horus : Trésors Engloutis d’Égypte aux éditions du Seuil.

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