lundi 29 août 2011

Par un petit matin brumeux...

Par un petit matin brumeux, gris et triste, forcément blafard, forcément blême, elle se trouvait là, bruissante et grouillante, rassemblée uniquement pour contempler ma personne, la foule. Enfin, un rôle à ma mesure, me réjouissais-je en mon fors intérieur ! Un rôle digne de l’égo, forcément surdimensionné, que l’on prête à tout artiste. La charrette allait cahin-caha, les roues crissant et ripant sur le pavé humide, les chevaux gémissant, pressés par le nombre. N’étaient-ils point habitués néanmoins ? De toute ma hauteur, je me dressai, fier et vaillant, les défiant du regard. Enfin une scène à ma grandeur ! Ce fut la première pierre qui m’éveilla soudain. Car si c’était une générale, elle serait unique, et exceptionnelle, puisque c’était pour mon exécution en place publique que se pressait la foule, avide et hostile.
Les gardes firent ce qu’ils purent pour s’interposer, mais lorsque j’arrivai au pied de l’échafaud, j’avais le visage en sang, et fort malséant de m’offrir ainsi à la représentation que la justice — fut-elle louée pour cela — avait enfin consenti à la grâce de mon infinie modestie. Maudits soient les gueux ! Ils avaient bien mérité que j’en eus trucidé une petite centaine. Le juge cependant, ce faquin, avait tenu à diminuer ma gloire en ne retenant comme avérés que neuf cas, et en précisant que j’avais agi à la fois lâchement, et maladroitement, et m’étais fait prendre sottement. Le Philistin ! Quand j’avais essayé de lui expliquer ce qu’était l’Art, on m’avait muselé... Les rats !
Du moins, dans sa petitesse et sa vilenie, m’avait-il accordé ce dont tout artiste rêve en son cœur sensible et sensé : une scène, et un public. Ni l’une, ni l’autre n’était de premier choix, mais faute de mieux, il fallait s’en contenter.
Sur les marches, glissantes de bruine, mon pied cependant glissa stupidement alors que je m’élançai afin de gravir avec panache le court escalier, et je m’affalai sans grâce, m’effondrant de nouveau alors que les gardes essayaient péniblement de me relever, provoquant les rires gras de la foule, et ses lazzis : « lâche ! », « couard ! ». Imbéciles ! Sycophantes !
Ce fut sous les huées de la masse haineuse et stupide, forcément stupide, que je parvins au sommet du bûcher. Car, oui, il le faut ici préciser, c’est au bûcher que j’avais été condamné, puisque l’on avait aussi retenu contre moi le crime d’hérésie, le tribunal ecclésiastique qui m’avait jugé avant le civil n’ayant point entendu mes arguments quant à ma nature de prophète, puisque tout Artiste est une Lumière qui se doit d’éclairer le Monde, et lui révéler sa Vraie Nature. Du moins était-ce véritablement et véridiquement le cas pour moi. Pour les autres, cela se discute... De fait, le tribunal civil m’avait condamné au bûcher, annulant les condamnations à l’écartèlement et aux divers sévices les précédant, que me devaient mes autres prétendus crimes, puisque c’était par le feu que je devais périr, ce qui eut été impossible, convenez-en, si j’avais d’abord été écartelé, noyé puis pendu. J’avais, cela va se soi, vigoureusement protesté ! Car ce faisant, le tribunal ôtait de l’ampleur dramaturgique au spectacle que devait constituer mes derniers instants, et que je me faisais joie d’investir de tout l’attrait magnétique d’une pensée conceptuelle moderne et avant-gardiste... Béotiens ! Analphabètes !
Enfin, enfin... Enfin ! Je fus attaché au pilier, et le feu, après quelques tentatives ratées dues à la pluie, qui me firent craindre l’annulation de ma performance, le feu, donc, fut mis aux fagots. Alleluia, mes frères, le spectacle entamait son ultime ascension ! Et cependant que les premières fumées âcres et entêtantes montaient jusqu’à mon visage, je m’exclamai la tirade longuement préparée : « Ô Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! », qui constituait une référence subtile à qui vous savez, ainsi qu’une mise en abyme que je trouvais interpellante, et fort audacieuse. Malheureusement, un impératif technique mal géré produisit un effet contraire et contrariant : ma gorge irritée par la fumée, je toussotai, et ne pus que bégayer et expectorer approximativement ma tirade. Qui au final dû ressembler plus à « Ô Pâté pommelé en caleçon ! » qu’à ce qui était initialement prévu, provoquant de nouveau l’hilarité de la foule.
Je voulus donc me reprendre, et lancer la réplique finale, mais c’était trop tard. J’avais trépassé. Vandales ! Illettrés !

Et me voici donc devant vous, mes juges de l’Enfer, espérant que vous aurez pour ce blog les yeux de Chimène, et m’éviterez les lazzis d’une foule hurlante et conspuante. Que de mon égo boursouflé vous ne demanderez point jugement et sanction, et pour l’inanité et l’immodestie intersidérale des notes et articles à venir, vous ne réclamerez point écartèlement, noyade, pendaison, ou que l’impétrant qui se croyait artiste fut brûlé en place publique, sur le désormais si fameux bûcher des vanités...
Aussi, donc, permettez-moi de conclure cette homélie larmoyante et précieuse sur une note d’humilité et de sagesse que n’aurait pas renié Torquemada, les jours de jeune et de pénitence, lorsqu’il faisait tomber en rafale ses sentences inquisitoriales, en m’exclamant à son exemple  : « Let’s rock, baby ! »

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