mercredi 28 septembre 2011

Zombi(e)s in Zanbyzar

Ce fut d’abord un cri au sein de l’azur éclatant, une trille insistante au creux des ténèbres, une mélopée rauque mais point sauvage s’insinuant entre les blés blonds comme l’orage. Une vague de sensations, sur l’écume des lèvres du monde, un ressac d’indignations, un flux et un reflux d’un chœur psychotique. Et ils furent là, au sein de l’enceinte où seuls les vents durant des décennies avaient léché de leurs airs moqueurs les anciennes inscriptions arrogantes d’une civilisation sur le déclin. Bourdonnants, fredonnant tels un essaim de frelons frelatés. Ceux qui, pourtant — qui m’aurait bien connu l’aurait su —  n’auraient jamais dû atteindre le saint des saints.

Nul ne l’ignore, parmi la foule des fanatiques compulsifs qui me suivent, et qui se chiffre, innombrable, à au moins... oh, bien trois personnes. Une foule, vous dis-je. Tous le savent. Le sachent en cachant au sachem le cachet des sachets enrubannés et enturbannés. La dernière forteresse est tombée. Elle qui résistait encore au chant funèbre des créatures venues de l’Hispaniola, là où dit-on le Colombus aurait posé le premier pied, ou le deuxième, voire le troisième. Les zombis. Chétives créatures plaintives dans l’île à la destinée tragique, devenues monstres affamées et sanguinaires dans un cinéma avide d’émotions fortes et de facilités.
Certes, pour vous, jeunes gens ignorant de la Sainte Histoire Nébuleuse, il n’y a là guère matière à exclamations, et encore moins à criailleries. Et vous vous dites, dans votre jeune impudence, que les Grands Anciens ont décidément perdu la boule. Moule. Poule. Coule... Mais qu’il boute donc la moule, et meule la boule, allons : enfin au fait ! exhortez-vous icelieu l’aède fatigué des discours et laïus censément sensés.
Comprenez-moi donc, jeunes insolents, hérétiques casuistes... Il y a encore quelques années de cela, si l’on m’avait dit que j’imaginerais des histoires clairement horrifiques, ouvertement sanglantes et sanguinolentes, et quelque peu épouvantables et éprouvantes... Je me fus certainement exclamé : « Fi donc, Marie-Germaine, hu hu hu, quelle adorable plaisanterie ! Vous avez un peu trop forcé sur la camomille... »
Oh, que non ! J’étais encore un être solaire, tout de blanc revêtu, et appartenant du camp du Bon, du Beau et du Bien. Et puis, comme le dit le proverbe, je suis passé du côté abscons de la farce. Car au triple B, je préférais bien sûr le triple A. Non point le triptyque « Amour, Abnégation, Abstinence » mais bien le « Avidité, Arrogance, Abêtissement », et donc... Zombis !

Oui, c'est effrayant, n'est-ce pas, un chevalier qui a la tête d'un zombi...
La Tentation de Sir Percival (Arthur Hacker)

Et maintenant que mes lecteurs les plus endurants ont vu leur abnégation trépasser face aux méandres de mon invention vagabonde, et qu’au pire ne conserve-je que les fous qui n’y saisiront mais, je puis donc vous toucher quelques mots de mes actuels projets zombifiants.

Zomzibar
Le premier, historiquement parlant (au deux sens du terme), pourrait s’intituler Zombies in Zanzibar, quoique l’intitulé que je lui ai trouvé et dont j’use désormais, après Périls en Zombardie, est Zomzibar. Un titre de travail qui en vaut un autre, et qui dit tout autant sur cette histoire, puisque, somme toute, les zombis y sont très secondaires (et plus conformes à l’image haïtienne d’origine qu’à celle d’Hollywood). Ne le répétez pas à l’esclave que j’ai trouvée pour mettre en images pieuses ce titre, elle croit encore travailler sur une adaptation du manuel slovaque d’un meuble ikéa, traduit vers le coréen depuis le quechua. Il serait certes fort cruel de la détromper. D’autant qu’elle produit des icônes très orthodoxes qui ravissent l’âme, ainsi que le goût de lucre du scénariste vendu et ventru, pendu et tendu, que je suis. Mais ne lui répétez point, non plus. Les dessinateurs sont allergiques aux compliments. Dès qu’ils en reçoivent, ils cessent aussitôt de travailler, pour se précipiter vers la plus proche taverne, et s’y soûler à coup de lait de chèvre fermenté. Les dessinateurs irlandais, eux, c’est encore pire. Ô drame de Tara. Eux, ils ont les pubs...

Ousque donc, public de fans, vous vous le demandez, mais de quoi c’est donc que ça cause, Zomzibar ? Et bien, fort logiquement, je vous dirais : de Zanzibar, et de zombis. Mais aussi de pirates, d’une Reine des Mers, d’émancipation d’esclaves, de luttes intestines parmi les Kubwa ou Bwana wa Hatma et de magie zanzibarienne versus magie égyptienne ou perse. Le tout dans une ambiance délétère servie par des personnages tout plus pourris les uns que les autres, à l’exception de quelques rares, très rares... exceptions. Il me semble néanmoins qu’il sera plus pertinent de leur consacrer un article spécifique, à ces charmants zombis, djinns, monstres, magiciens, à ce tendre et suave fils de p... de Lysander Egersfield-Cox, au « doux » Mjusi, à l’idéaliste Djem-Djem. Et à la pure Assunção Cruz (il ne s’agit ni d’ironie, ni d’antiphrase).

La Malkia al-Bahari

Mjusi
L’image suivante n’a pas pour sujet Zanzibar, mais Constantinople, cependant elle correspond parfaitement à l’esprit et à l’atmosphère du projet, aussi bien qu’à son époque. Et introduit, de plus, tout aussi parfaitement le projet suivant, Byzombia.

Clair de Lune sur le Bosphore (Edward Hoyer)
Byzombia
À nouveau un jeu de mots dans le titre, que l’on pourrait lire comme « Byzance & zombies ». Byzance, l’ancien nom de Constantinople, devenue Istanbul par la conquête ottomane (bien que le nom de Constantinople demeura employé pour la ville jusqu’à la fin de l’empire ottoman, en 1918).

Pour ce projet, qui en l’état est en recherche de pinceaux, crayons et stylets pour le faire vivre, je me contenterai donc paresseusement de reproduire le texte d’accroche déjà présenté ailleurs :

Sur la droite et au-devant, quelques ruelles étroites cernées de vieilles maisons en bois d’époque ottomane, typiques de cet Istanbul ancien et populaire qui a presque entièrement disparu ; sur la gauche, s’ouvrant entre les demeures, le début d’un large escalier que l’on devine sous l’épaisse couche de neige et doit mener à un étage supérieur de ce paysage urbain escarpé et vallonné, si charmant, et pourtant si propice à tous les guets-apens. Mais, sur l’immaculé manteau d’un blanc éclatant, pas une seule trace de pas. Pas un bruit, pas un cri...
Dans le ciel quelques flocons égarés volettent encore, qui viennent fondre sur ma paume ouverte, et j’hésite entre sourire comme un enfant qui ignorerait le monde, et pleurer comme un vieillard qui en aurait trop vu. Me revient soudain en mémoire l’anecdote de cet empereur du Japon recevant un vétéran des guerres du Nord, et lui demandant de décrire ses campagnes. Le vieil homme prend son souffle, et débute : « Un jour, alors que nous quittions le quartier général pour rejoindre la forteresse d’Akita, il neigeait légèrement et les hommes... ». Aussitôt l’empereur s’exclame : « Cela suffit ! L’image est élégante et remarquable, inutile d’y rien ajouter. Qu’on lui donne une pièce et qu’il s’en retourne ».
Comme j’aimerais qu’un empereur me congédie, et que je puisse à reculons sortir de la scène... Et sinon, pouvoir m’arrêter ici, m’allonger dans la neige, et mourir doucement.
Car Dame Neige et Seigneur Glacial vous engourdissent sans retour si vous avez le malheur de vous assoupir en leurs domaines, et c’est dans les bras de Morphée que l’on gagne l’Hadès. Oui, sinon... comme j’aimerais. Mais qui me dit qu’ils ne m’étriperont pas avant que la reine des glaces ne m’ait emporté ? Un rire cristallin et moqueur résonne soudain à mes oreilles. Je me retourne brusquement, l’index crispé sur la gâchette. Mais, rien. Symptôme de folie ? Je plisse les narines... N’est-ce pas une odeur citronnée ?
Les « zombies ».... Ce vague relent de citronnelle qu’ils exhalent. Qui aurait pu croire qu’un zombie sentirait bon ? Mais il n’y a pas un seul zombie à l’horizon, il m’aurait déjà assailli. Alors, seraient-ce... des ‘gobelins’ ? Je hume l’air. Cette fragrance musquée, un ‘troll’ ? Non, ce n’est que le relent des effluves du pétrole lourd du tanker échoué contre les piles du pont du Bosphore qui brûle encore.
Avançons donc... Mais voici que s’ouvre une ruelle sur la droite, et que...

Situé à Istanbul, dans un futur très proche, Byzombia vous contera donc la dantesque odyssée de Léandre Géraud, écrivain et critique gastronomique qui va découvrir ce que c’est que d’être pris pour plat de résistance par ses « semblables » devenus déments. Et, face aux hordes de « zombies, « gobelins », et enfin « trolls » et « lycanthropes » ou mystérieux « elfes », tenter de surnager dans les fourneaux de l’enfer, sans recettes de survie, au sein de cette mégalopole tentaculaire, qui mêle vieux quartiers historiques, palais et mosquées impériales, taudis, tours ultra-modernes et quartiers résidentiels proprets, s’étageant autour du magique Bosphore pris par les glaces de cette fin d’hiver où civilisation et humanité semblent s’effondrer d’un coup, en quelques secousses sanglantes et chaotiques.




 


(Toutes les images qui précédent sont issues de Panoramio, service associé à Google Maps)

Ailleurs et Demain
Que l’on me permette de reprendre le titre d’une célèbre collection de science-fiction pour évoquer mes autres projets « zombis ». Cela sera rapide.

Tout d’abord, l’on peut happer le regard vers l’Inde, et son envoûtante civilisation. J’y ai développé un petit quelque chose qui n’est pas à strictement parler un projet « zombi », mais se rapproche de l’esprit de Byzombia, consistant à opérer un « twist » pour renouveler le genre (du moins, permettez-moi de l’espérer et de l’ambitionner).

Enfin, l’on peut glisser par-delà les eaux vineuses de l’Océan, et atteindre les jungles mayas. Il se pourrait fort que quelque chose y prenne corps bientôt, entre esprit du Jaguar et délires apocalyptiques déjantés. Il est possible que je vous en dise plus bientôt, car c’est une collaboration percutante qui s’annonce, et que j’espère fructueuse. Que le Serpent à Plumes nous entende.

Et le tableau ne serait pas complet si je n’évoquais pas ici It’s Zombies’ Night, mon petit délire sexe & trash, que seuls quelques initiés ont eu le plaisir de découvrir (il s’agit d’une courte aventure, présentement en quatre planches, mais qui devrait en compter six ou huit, et pour l’instant rien de plus qu’un scénario découpé case par case, car pour une histoire de zombies, je ne pouvais faire moins qu’user du couperet et découper en fines lanières l’intrigue de stupre et de sang).

jeudi 22 septembre 2011

Ægypta

Elle courrait. Ses soyeux cheveux d’or dansant tels l’écume derrière elle, les pieds écorchés, les mains et les bras meurtris, un filet de sang au long de la tempe, elle fuyait. Au travers de la foule exubérante, endormie, dansante, agglutinée au long des rues et ruelles à l’occasion de la Grande Fête de la Déesse, elle se glissait, bondissant au-dessus des corps étendus, évitant les danseurs extatiques ou les festivaliers avinés. Haletante, de plus en plus épuisée, éreintée, passant des zones sombres des ruelles obscures d’une nuit sans lune, aux places brillamment éclairées de lampions, elle fuyait. Parfois, elle s’affalait, provoquant au mieux indifférence, au pire récrimination des fêtards. Le plus souvent, heureusement pour elle, elle esquivait les obstacles. Heureusement, car elle le savait ils étaient à sa poursuite. Forts. Nombreux. Musclés et endurants. Et armés. Et où aurait-elle pu trouver du secours, parmi ce peuple dont elle ne parlait pas la langue ? Parmi ces festivaliers qui n’étaient préoccupés que de la Grande Fête ?
Elle n’avait d’autre ressource que de fuir. Sans savoir où la menait ses pas. La peur au ventre de se retrouver coincée dans une impasse par ses poursuivants.

Ainsi débute Ægypta, qui un temps fut dénommé Nuit Dormante, du surnom que se donne le personnage principal masculin au début du roman, sis dans l’Égypte romaine du règne de Vespasien. Car avant d’être le premier projet de bande dessinée pour lequel je cherchai une collaboration, sur le célèbre forum café salé, Ægypta fut un projet de roman. « Projet », car le récit demeura, sous sa forme littéraire, inachevé. Pourquoi ? Me demanderez-vous peut-être. Et je vous répondrai, bien sûr, par le célébrissime « parce que... ». Les Voies du Seigneur sont impénétrables.

Temple d’Amon

Plus sérieusement, il se trouve que le roman repose en partie sur un mystère et un dissimulation. Le mystère est celui de l’identité exacte de « Nuit Dormante », qui semble être un prêtre égyptien au service (secret) de l’autorité romaine, mais laisse entendre qu’il n’est qu’un fugitif (certes une « couverture » bien commode pour un espion). La dissimulation est celle de Callisto, la jeune fille en fuite du premier chapitre, qui omet de tout dire d’elle-même à ce personnage mystérieux pour qui elle n’éprouve qu’une confiance limitée (craignant d’être retombée entre les mains d’un personnage peu recommandable). Et puis s’enchaînent les événements qui font qu’elle s’enferre dans sa dissimulation qui confine au mensonge. C’est cette dissimulation qui m’est finalement apparue difficile à « gérer », car le récit s’attache à Callisto et à ses pensées et il devenait difficile d’occulter des éléments d’identité absolument fondamentaux quant aux ressorts des sentiments et des émotions de la jeune fille. Certes, j’aurais pu dévoiler son identité réelle au lecteur, mais cela ne me semblait pas très intéressant, d’un point de vue narratif, d’autant que la révélation de cette dissimulation, en fin d’histoire, devait constituer un moment fort, faisant le pendant du dévoilement des mystères de Nuit Dormante. J’ai donc laissé le projet de côté, mais sans cesser d’y revenir pour le mener d’une façon ou d’une autre, et lorsque je me suis rendu compte qu’on pouvait monter des projets de bande dessinée via le net, je me suis tourné vers Ægypta

En vérité, le premier scénario de bande dessinée que j’ai développé est Kaze no Kage (on y reviendra), et le premier projet que j’ai voulu présenter pour trouver un co-auteur est Expérience Interdite – Bienvenue sur les Terres du Prophète (de la science-fiction genre « space opéra » mêlé d’anticipation, dans un univers dystopique, un peu kafkaïen sur les bords). Mais les exigences que j’avais pour le dessin de Kaze no Kage me paraissaient trop élevées pour espérer trouver un pinceau avant que la recherche ne sombre dans les profondeurs du forum (il est certes possible que j’ai eu tort de les juger ainsi, mais c’est un autre débat). Quant à Expérience Interdite, le scénario souffrait (à mes yeux là-encore trop exigeants) de certains moments trop indécis (alors qu’avec l’expérience acquise je me suis aperçu que c’était plutôt une qualité que le scénario possédât une certaine souplesse), et je souhaitais un véritable co-auteur dans la création visuelle de l’univers, sans avoir alors conscience que c’est finalement ce que doit être, et ce que souhaite être, le dessinateur d’une BD de science-fiction. Je restais en fait marqué par mon expérience de game design où strictement rien n’a été entrepris ni dessiné sans que je ne l’eus auparavant précisément décrit (et que tout cela n’eut été bien sûr validé par le chef de projet, et la direction), et j’imaginais que pas mal de dessinateurs attendaient du « prêt à mâcher », autrement dit des descriptions très précises de l’univers visuel : décors, costumes, vaisseaux. Le pire, en l’occurrence, c’est que, des descriptions précises, je pouvais en fournir pour une partie des lieux de l’action, puisqu’avant d’être un projet de bande dessinée, Expérience Interdite fut un projet de jeu vidéo. Mais le dossier me semblait trop « bancal ». Quand je vois les idées qui sont parfois présentées dans la section « scénario » du forum CFSL, j’en souris rétrospectivement... En comparaison, ce dossier, c’était un bunker en béton armé aux murs de quatre mètres d’épaisseur. Mais, pour mon premier post de recherche, je voulais du « solide ». La ligne de défense de l’Atlantique, en quelque sorte. Je me suis donc tourné vers Ægypta.

Grand Temple d’Amon de Thèbes (Karnak)

Nuit Dormante – Ægypta, ce projet qui m’avait tant tenu à cœur sans que je parvienne à le réaliser sous forme littéraire, possédait en effet l’avantage d’avoir été travaillé en profondeur. Pour reprendre une formule, je possédais les personnages sur le bout des doigts, la trame était solide, et détaillée (le tout basé sur une solide documentation), et finalement ce qui était un défaut pour le littéraire « psychologique » devenait un atout pour la bande dessinée, où il s’agit plus de montrer, et où l’ellipse est reine. L’ellipse, la voilà la solution à mes difficultés de « dissimulation ». L’on montre, l’on laisse entendre, et l’on n’est plus dans la tête de Callisto, mais on l’accompagne ainsi que Nuit Dormante.
Avec elle, et lui, l’on passe donc de la ville de Bouto dans le nord du Delta, à Alexandrie, puis l’on remonte le cours du Nil pour gagner la ville de Tentyris, où débute le festival de la Bonne Réunion, grande fête religieuse de la Thébaïde (région sud de l’Égypte ancienne), qui va nous conduire jusqu’à Appolonospolis Magna (Edfou), en passant par Thèbes et Hiérakonpolis. Tout en découvrant de nouvelles facettes de Nuit Dormante « Hornefer » et cependant que Callisto se sent tout aussi bien rassurée qu’épiée, l’on y vivra, dans ce sud lointain où Alexandrie ne semble être qu’un rêve, les festivités s’étalant sur quatorze jours et retraçant les épousailles d’Hathor de Tentyris et d’Horus de Bakhtis (c’est le nom du dieu d’Appolonospolis Magna), et la victoire de ce dernier sur Seth. Enfin, la naissance d’Harsomtous-Ihy, fils d’Hathor et d’Horus, qui symbolise la renaissance de la végétation, et surtout, surtout, la venue du don du Nil : la crue ! L’inondation, aujourd’hui disparue du fait du barrage de Nasser, et qui apportait le fertile limon.
Et pour reprendre et conclure notre fil, Callisto découvrira ensuite les routes du désert qui mènent du Nil à la Mer Rouge. Elle y fera de très mauvaises rencontres, qui la précipiteront dans des situations encore plus inattendues et incongrues. Nuit Dormante se portera à son secours... Et c’est à Coptos, sur le Nil, que le mystère et la dissimulation s’évaporeront enfin comme neige sous l’œil de Rê.

Œil d’Horus

Sources iconographiques :
Les illustrations du temple d'Amon sont issues du Tome 1 de L’Égypte Restituée, aux éditions Errance.
L’œil d’Horus : Trésors Engloutis d’Égypte aux éditions du Seuil.

jeudi 15 septembre 2011

La Conquête de la Gloire


Moi, Timon, dit Stratège, aimé des Dieux, et favori d’Athéna Aidæia, Souverain de la majeure partie du monde connu, en cette vingt-sixième année de mon existence, j’ai tenu à extraire de mes notes quotidiennes les faits les plus marquants de ma vie afin d’en livrer un récit clair.
Ce que j’ai accompli, aucun homme avant moi ne l’avait fait, et je pense qu’aucun homme après moi ne l’accomplira de nouveau.
[...]

I 
Prélude, l’Enfance

Mon père se nommait Alcibiade, il était le chef de la Gentè des Hemneacides d’Oropos. En tant que tel, il était un des rois de la cité, ayant sa place au Conseil qui dirigeait Oropos.
Fils cadet, il avait beaucoup voyagé avant de revenir à Oropos, où la mort de son frère aîné avait fait de lui l’héritier des Hemneacides.
[...]


Étrange « instrument » que le souvenir. J’étais persuadé que le premier roman que ma Grâce condescendit à laisser entrevoir aux manants dénommés éditeurs se nommait Timon Stratège ou La création d’un Empire. En réalité, il était intitulé La Conquête de la Gloire, ou la création d’un Empire... Un titre, il est vrai, plus en accord avec ma légendaire et proverbiale modestie. Il est cependant, et certes, fort possible que Timon Stratège ou... correspondit à celle de la quatrième version que j’avais entrepris, et dans l’idée qu’un tel titre semblerait moins « se la péter ». Qu’on me pardonne la familiarité de cette expression, si peu conforme à notre époque toujours si soucieuse d’élégance et de raffinement. Ouesh ouesh, gros, me souffle dans le pavillon de l’oreille mon camarade suburbain du quatrain (certains habitent le neuftrois, en ce qui me concerne, je réside en ce beau département du quatrain... admettez tout de même que c’est plus seyant, et forcément plus poétique, que quatre-un...).

J’étais de même persuadé que la déesse Athéna de mon histoire était surnommée Aphaïa, alors que c’est en vérité Aidæia... Stupéfiant ! Comment ai-je pu ainsi en oublier jusqu’au fondement des Saintes Écritures du Cyrilisme Nébulosien !? On se le demande encore... Il s’en passera des conciles œcuméniques avant que cette délicate querelle cyrilologique soit tranchée.

Une bien charmante Athéna...

Plus grave, néanmoins, et qui peinera tous les adeptes de la Vraie Foi, qui Me louent chaque matin, midi et soir (selon prescription médicale) d’avoir connu cette grâce ineffable qui fit que Je Me mis sur leur chemin, de pauvres pêcheurs indécrottables. Et depuis lors, leur quotidien en est transfiguré. C’est sûr, devoir me supporter chaque jour que Je fais, voilà qui forge un caractère... Vivacité d’esprit (« mais qu’est-ce qu’il dit ? Bon, sang, qu’est-ce que ça veut dire !? »), souplesse d’échine et capacité d’adaptation (« mais bon sang, il y a trois heures, tu affirmais le contraire ! »), travail sur soi-même (« ne pas craquer... ne pas craquer... ne pas... »), volonté d’acier (« ne pas craquer... ne pas... »), tolérance et pacifisme (« ton poing dans sa figure, tu ne mettras point... »), et enfin, cerise sur le gâteau, lucidité (« ce type est complètement givré ! »).

Ousque donc, je disais... Mais est-ce bien important vu que la plupart des lecteurs de cette note ont dû fuir depuis longtemps devant mes digressions qui sont autant de chausses-trappes destinées à leur faire lâcher prise (« fausse-modestie.uberblog.com c’est plus fort que toi ») ? Je disais donc... que j’ai perdu les fichiers initiaux de ce premier roman, et que j’ai dû aller fouiller dans ma bibliothèque pour retrouver une version imprimée. Et que je tiens bien à ce qu’on me tresse des louanges pour cela !

Et désormais seul l’écho répondait à ses paroles, car c’était seul que le poète maudit qui s’était cru intéressant et drôle s’égosillait dans la grotte des vaines apparences. Ô s’il avait lu Platon, Kant et Nietzsche, plutôt que de faire la mariole ! Serait-ce donc arrivé !? Ô oui, certainement, mais au moins il aurait encore pu se la jouer « homme de culture qui balance des citations mal-à-propos » dans des dîners en ville, alors que cela lui était interdit, ô homme de peu de foi. 


Pour revenir et conclure sur la trame de La Conquête de La Gloire, elle suivait bien sûr celle de la première version, puis de la seconde : Attique (Oropos est une ville à la frontière de l’Attique proprement dite), puis Crète, enfin Chios. Mais là où la seconde version faisait de Timon un mercenaire prenant le pouvoir dans la cité de Mallia, La Conquête de la Gloire le voyait adopté par un des puissants de la cité, Léosthène le Léocléide (« descendant de Léoclès »), polémarque de Néa-Mallia. Son manque de respect de l’éducation dispensée à l’élite dorienne provoquera une crise qui l’oblige à fuir, après l’assassinat de son père adoptif. Réfugié dans l’arrière-pays, il se fait l’étendard et le protecteur des Achéens et des Étéocrétois dominés et exploités par les Doriens. Menacé par la cité voisine de Dréros, il prend les devants et grâce à des complicités s’empare de son acropole lors d’un raid audacieux. Mais la puissante cité dorienne de Lyktos envoie une expédition vers le plateau du Lassithi (là où il avait trouvé refuge), en vue de mâter cette aventure « rebelle » qui la menace. Trop confiante, la fine fleur de l’aristocratie lyktienne, lourdement armée, se fait prendre au piège par les archers et la cavalerie de Timon, qui commence à être surnommé « Stratège » (« meneur de troupes »). Peu après, la cité de Lyktos est prise. S’ensuit la cité de Néa-Mallia, où Timon, fils adoptif de l’ancien polémarque, conserve des « partisans » et amis, et qui tombe pratiquement sans coup férir. Dès lors, c’est pratiquement toute la Crète qui va tomber dans l’escarcelle de Timon Stratège, soit par conquête (les premières procédant, là encore, de ripostes à l’alliance des cités doriennes qui se coalisent pour écraser ce fauteur de troubles qui pousse leur paysannerie à la révolte), soit par l’alliance (avec des cités achéennes ou étéocrétoises). Après quoi, viendra l’empire maritime (la flotte crétoise, constituée à l’exemple de celles des cités phéniciennes, n’ayant aucun mal à dominer l’Égée, où elle ne rencontre strictement aucune rivale), et les aventures se ferment sur ce premier « volume » alors que la flotte de Timon s’apprête à cingler vers Chypre.

Un dernier mot sur la Crète... Doriens, Achéens, Étéocrétois, qu’est-ce donc ? La Crète de l’époque était devenu une sorte de conservatoire de toutes les invasions des peuplades hélléniques. Les Étéocrétois (« Vrais Crétois » en grec ancien) sont considérés comme la « première strate de population », les premiers habitants des temps historiques, ceux de l’époque du fameux Minos (Dédale, Minotaure, etc.), appelés par l’archéologue sir Arthur Evans, découvreur de leur civilisation, les « Minoens ». Vers 1500 avant J.C. leur civilisation palatiale s’effondre (certains pensent qu’il s’agit d’une conséquence du terrible tsunami qui dut suivre l’explosion du volcan de Santorin, qui souffla dans l’atmosphère la majeure partie de l’île de Théra). Surviennent alors les Achéens, appelés aussi Mycéniens, du nom de la plus imposante des forteresses « cyclopéennes » de leur civilisation, et qui vont occuper durant quelques décennies le fameux palais de Knossos, alors que ceux de Phaïstos et Zakros sont abandonnés. Si les Étéocrétois ne sont pas des Grecs (le terme d’Hellènes serait plus juste), les Achéens le sont, et ils supplantent les « Minoens » sur une partie de l’île. Vers 1200 avant J.C. survient ce que les historiens grecs anciens nomment la « descente des Héracléides », eux-aussi des Hellènes, « cousins » des Achéens, demeurés dans le nord de l’actuelle Grèce, peu civilisés, plus frustres, et qui détruisent la civilisation mycénienne. Les Héracléides (« descendants d’Héraclès » car tel était la croyance de l’époque), ou Doriens, submergent presque tout le Péloponnèse et la Crète. L’île est alors une sorte de patchwork : la péninsule orientale reste le domaine des Étéocrétois, le reste de l’île est le domaine des Doriens, qui y dominent, selon des régions, des populations d’Achéens ou d’Étéocrétois (et probablement, parfois, un mélange des deux), mais quelques cités achéennes demeurent « libres ». Dans l’ouest, il y aurait aussi eu des « Kydoniens » que l’on connait mal, et qui parleraient encore une autre langue (mais auront disparu à l’époque classique). Peu à peu, c’est l’élément dorien qui va submerger tous les autres, et au début de notre ère, il n’y a plus que des Hellènes en Crète, qui parlent un idiome dorien, ou le « koïné », autrement dit la langue commune, qui supplante les idiomes à l’époque hellénistique.


Sources iconographiques :
Illustrations (Arès, Athéna Promachos, Némésis) issues d'un jeu de cartes d'Ystari Games réalisé par Arnaud Demaegd et reproduites avec son aimable autorisation, comme dit si joliment la formule.

vendredi 9 septembre 2011

Le Dernier des Esclaves

Le Premier des Esclaves, la suite, donc...


Vous vous demandez certainement, ô foules innombrables qui attendez ma divine prose avec cet enthousiasme messianique qui seul se conçoit à mes yeux si humbles, si modestes, si... Vous vous demandez donc, mais qu’est-ce que c’est que c’est que Le Premier des Esclaves ? Vous vous doutez, je gage, qu’il ne s’agit point d’un traité sur la naissance de l’esclavage, quelque part entre le néolithique et l’ère historique. Pas plus qu’un essai sur la solitude du néo-bobo parisien confronté à l’inversion des rôles, ou plus exactement le partage des tâches ménagères, comme quoi en théorie c’est tellement bien de partager, chérie, mais c’était tout de même tellement mieux avant quand les femmes se coltinaient toutes ces tâches ingrates et si peu enthousiasmantes (il est sûr que, et sans vouloir plaisanter, « la première des esclaves » voilà qui ferait un bon titre quand à une histoire de la femme). Vous commencerez à vous en approcher s’il vous revient en mémoire cette maxime de Philippe II de Macédoine (le père d’Alexandre III, dit « le Grand »), qui disait que les rois sont esclaves de leur fonction. Car Le Premier des Esclaves c’est un peu cela : un roman d’aventure qui s’est mué en épopée « impériale ». Celle d’un jeune paysan de l’Attique, aux alentours de l’an mille avant notre ère, qui après avoir été esclave en Crète, puis participé à la création de la première démocratie à Chios, rencontrera la belle Nausicaa de Chypre, l’île d’Aphrodite, et finissant par s’immiscer dans les luttes entre Hittites et Égyptiens, deviendra pharaon, puis maître des empires hittites et babyloniens [dont il faut préciser qu’à l’époque, l’un n’existait plus (l’empire hittite), et l’autre, qui avait existé (l’empire babylonien d’Hammourabi, vers 1800 avant JC), n’existait pas encore (l’empire néo-babylonien de Nabuchodonosor, vers 600 avant JC), la faiblesse de mes sources expliquant ceci]. 
Enfin, cela c’était le programme « initial » : le récit (que je brodais au fil de l’eau, cela va de soi) s’étant achevé à la conquête de l’Égypte. Laquelle n’avait été en rien planifiée par le héros, Timon, mais tenait à un de ces hasards qui font tout le sel de la bonne aventure. Même l’épopée impériale, donc, restait fondamentalement un récit d’aventures. De l’Attique à l’Égypte, en passant par la Crète, Chypre, la « Syrie », ce ne sont qu’une série de hasards, coups du sort, coïncidences heureuses, ou désastres qui se transforment in fine en éclatants succès, mais sans que le narrateur (puisque le récit était narré à la première personne) en soit totalement responsable. En clair, ce n’est ni sa vista, ni son exceptionnel brio, ou son talent hors du commun, qui lui assurent la position qu’il finit par conquérir, mais la chance. Timon n’est donc pas une sorte de héros prométhéen qui créerait seul son destin, à la force de son poignet et de son intelligence, face aux forces hostiles, et aux vents contraires. S’il n’est certes pas dépourvu de qualités, s’il sait saisir les occasions qui se présentent à lui, Timon est autant le jouet du destin qu’il en est le maître, car il est fidèle à sa « matrice initiale ». Timon n’est qu’un petit paysan qui ne s’était jamais rêvé en roi. Mais les événements faisant lois, son ambition s’éveillera...

Il en va très différemment dans la seconde version du Premier des Esclaves, que je commençais à rédiger deux ans plus tard, alors que je m’ennuyais en attendant l’entrée en faculté d’histoire. Ce n’était, à nouveau, qu’un divertissement. Pas la moindre idée alors de viser un jour l’édition. Encore moins avec ce texte. Et ce d’autant moins qu’alors, l’idée même de devenir écrivain se résumait dans mon esprit plus tourné vers les métiers « sérieux », par une seule formule : « déchéance ». Oui, je sais, je vais en choquer certains (les rêveurs), en réjouir d’autres (les lucides), mais c’était exactement le terme que j’employais alors. Vous comprendrez dès lors pourquoi je vais désormais de par le monde un sac de jute sur les épaules et la tête couvertes de cendres. J’ai déchu... Je ne suis plus qu’un vile être sans foi ni loi, une larve qui ne mérite ni respect ni honneur, encore moins une quelconque compassion humaine. Car, oui mes frères et mes sœurs, j’ai fauté ! Mais pire encore, j’en suis fier !

Oh ! Mon dieu ! Il est en fier !

Bref, nous évoquions donc la différence majeure entre la première version et la seconde version : l’implication du hasard dans la destinée du héros. Dans la seconde version, puisqu’il me semblait tout de même extrêmement irréaliste qu’un homme bâtisse un empire sans l’avoir réellement voulu, et suite à une série de coups de chance (et même s’il était par ailleurs chef de guerre, et bon meneur d’hommes), qu’au contraire nul ne serait parvenu à un tel résultat s’il ne l’avait ardemment souhaité du plus profond de lui-même (j’en sens ici qui vont se gausser de la formule, comme si on pouvait « ardemment souhaiter du moins profond de soi-même », ou « légèrement souhaiter du plus profond de son sein à soi », vils moqueurs, va, hou ! On les conspue bien fort !)... Je disais donc, avant de m’égarer comme à mon habitude, maître des digressions que je suis, que puisqu’on ne peut décemment créer de toutes pièces un empire sans le désirer profondément, j’avais imaginé que mon héros, non seulement était issu de la noblesse (ce qui lui assure donc la formation au maniement des armes), mais de plus était persuadé avoir été dès son plus jeune âge distingué entre tous par la déesse Athéna (à qui j’avais donné le surnom d’Aphaïa, pour me rendre compte bien plus tard qu’il s’agit de celui d’une divinité bien réelle, celle de la cité d’Égine, rivale d’Athènes) dont il avait fait la rencontre dans un bois, à l’âge de cinq ans, et qui lui avait remis un petit bijou, une sorte de cylindre retenu par une chaînette et qui se portait au cou. Et puisque ce second récit n’était encore à mes yeux qu’une sorte d’aimable fantaisie, je puis donc vous avouer qu’à mon idée, cette rencontre avait bel et bien existé, mais qu’il s’agissait d’une extraterrestre (là encore, des esprits chagrins vont me rétorquer « mais pourquoi donc ‘une’ et pas ‘un’ ? Comment diable sais-tu que l’espèce est sexuée, et qu’est-ce qui te permets d’affirmer que, statistiquement, il y a de plus grandes chances qu’en l’an 800 avant JC un gamin ait rencontré une espèce sexuée humanoïde sexuée, plutôt qu’un alien indéfini ? » À ces sceptiques, je répondrai donc « parce que... »). Et, mieux encore, que ce « cadeau d’Athéna » devait survivre durant plus de trois mille ans, et passant de génération en génération, finalement retrouver sa « planète d’origine », puisque lors de mon second séjour en Irlande, je m’étais amusé à écrire l’ébauche d’un roman SF, une sorte de space opera, ou de planetary romance... Va savoir ce qu’il en est réellement du genre, puisque je n’en ai écrit que le début, et que, honnêtement, ce récit était bien moins original que Le Premier des Esclaves. Mais, de fait, en imaginant cette origine à ce bijou offert par « Athéna », je m’amusai à créer un lien entre les deux récits débutés en Irlande, la terre des aèdes qui n’ont pas besoin de whiskey pour nager dans une imagination délirante, ainsi que vous venez de vous en apercevoir.

Quant à cette première ébauche de roman SF, ou quant à la troisième version du Premier des Esclaves, qui devait porter nom de Timon Stratège ou la création d’un empire, il se puit que dans un accès de générosité inédit je condescende à répondre aux exigences de la foule en délire, et leur consacre une petite notule. Il se puit.. Si vous êtes bien sages, et faites bien vos devoirs à la maison. Cela va de soi.

Sources iconographiques :
Le Marché aux Esclaves de Gustave Boulanger.
Extrait de Dura Lex sed Lex de Paul Jean Gervais.

vendredi 2 septembre 2011

Le Premier des Esclaves

C’est dans la verte Irlande, la riante Eire, au pied du mont Leinster, que tout a commencé. C’est là, en effet, entre les haies vives qui enserrent des champs emplis de gras moutons, ceux que chantaient Homère, que le démon s’est emparé de mon âme. Ce démon qui a pour nom « Littérature ». Car c’est en cette charmante contrée où l’on s’exprime en anglois mais qui n’est point la perfide Albion que j’ai débuté l’ébauche de ce qui allait devenir, après moult versions, mon premier roman.

Quand le démon possède ce visage, comment voulez-vous résister ?

On pourrait certes soutenir que le démon m’avait frôlé de son souffle fétide bien des années auparavant. Ainsi, en primaire, lorsque, pour un devoir en classe, j’étais parti dans un épique récit d’aventure qui se déroulait sous terre, dans de magnifiques grottes que découvraient des explorateurs (ou un seul explorateur ? j’avoue ne plus très bien me souvenir de ce premier exploit manuscrit), et qu’emporté par la flamme du créateur je n’avais eu le temps ni de finir le brouillon sur lequel j’écrivais (et qui devait dépasser les quatre pages, ce qui était inhabituellement long pour ce genre de devoir), et encore moins de le recopier au propre. Amusée, la maîtresse d’école avait malgré tout accepté de prendre le brouillon, qui devait certainement beaucoup de sa faconde à l’impression qu’avait fait sur moi un Fantômette (Fantômette et le secret du désert) dont une partie de l’intrigue prenait pour cadre une sorte d’oasis du désert montagneux, cachée au regard des hommes, et dont le chemin s’ouvrait dans une faille de la montagne. Une oasis qui devait, elle, certainement tout autant à la bien réelle Petra, et peut-être à la plus imaginaire Zarzoura, bien que j’ignore tout des inspirations de Georges Chaulet.

Quelques années plus tard, à l’âge de douze ans, j’entreprenais ce qui se voulait une sorte de roman historique, mettant en scène un personnage dénommé Hélias, homme de notre époque qui effectuait un voyage dans le Passé, jusqu’à l’époque du siège de Troie. Et puisque les terres grecques de ce temps me semblaient relativement connues, c’est en Asie Mineure, parmi les alliés de Troie, que le récit entraînait mon « héros ». Si l’on excepte un épisode impliquant des femmes crucifiées (attachées à des croix, sans plus), et qui devait constituer le premier fait d’armes du héros, ainsi que, probablement, la fameuse récompense du guerrier, je ne me souviens plus guère du déroulement de cette première intrigue, qui demeura inachevée. Tout ce dont je me souvienne de plus, c’est que quelques années plus tard, je découvris avec stupeur qu’un de mes camarades de Lycée s’appelait précisément Hélias... Moi qui avait inventé ce nom en le croyant purement imaginaire, le voir ainsi incarné, voilà qui m’avait frappé...

El Khasne, Petra
(Frederic Edwin Church)

Mais revenons donc à la douce Irlande, celle qu’aurait pu chanter Homère, s’il l’avait connue, mais qui eut aussi ses aèdes, et une longue tradition du chant poétique et de la transmission orale (le dernier druide, dit-on, disparut au XVIe siècle).
La verte Irlande... Pourquoi croyez-vous qu’on la surnomme ainsi ? Parce qu’elle est verte, certes (encore qu’il y ait des coins un peu plus desséchés que d’autres). Mais pourquoi est-elle si verte ? Grâce au Gulf Stream, me répondront les petits malins. Ce qui n’est pas faux. Le Gulf Stream, dont l’influence se fait ressentir jusqu’en Bretagne, et produit en Irlande les mêmes effets, mais en plus spectaculaire encore. Car en Irlande, il fait doux, certes (d’où des fuchsias de quatre mètres au bord des routes dans la partie occidentale), mais surtout, et plus encore, il pleut beaucoup. Il pleut énormément... Sur mon premier séjour, qui dura un mois et demi, sur juin et juillet, j’ai dû compter à peine une semaine de beau temps. Lors de mon second séjour, qui dura un mois, il n’y eut que quatre demi-journées de beau temps... Les jours de pluie, j’ai évidemment rapidement cessé de les compter. L’Irlande, c’est le pays où l’herbe pousse plus vite que vous ne pouvez la couper.

Bien sûr, j’avais des loisirs... Je me trouvais dans une ferme. Une exploitation qui comptait deux cents têtes de moutons, et une quarantaine de vaches. Plus quelques champs pour alimenter tout cela. C’est de cette époque que date mon amour des moutons, et des vaches. Si, si, je vous assure. C’est très mignon, un mouton. Très drôle aussi. Certes, à l’insu de son plein gré, comme eut dit notre grand comique national. Rassembler un troupeau de deux cents têtes, c’est quelque chose. Surtout lorsque le bélier du troupeau décide brusquement de foncer sur vous, précisément. On a beau savoir qu’en théorie on a prise sur l’animal, et l’aide de deux chiens de berger, cela reste impressionnant un bélier, doté de ses deux énormes cornes enroulées. Et puis, l’on se souvient des instructions, et du comportement du mouton. Alors, on lève les bras bien haut, qu’on agite en criant. Et le bélier finit par avoir plus peur de vous que vous de lui. Et le bélier se détourne brusquement, effectuant une magnifique spirale, et entraînant tout le troupeau (ou presque) dans le même mouvement... Et c’est là qu’on apprend de visu ce que signifie « se comporter en mouton ».
Ensuite, alors que le troupeau de deux cents têtes se fraye un chemin sur les petites routes irlandaises, étroites et cernées de haies, c’est icelieu qu’on découvre l’origine d’une expression célèbre, lorsque l’on voit soudain un de ces animaux, dont les pattes semblent si raides, bondir comme s’il était monté sur ressort — on croirait presque en entendre le « boing » — et retomber lourdement sur ses congénères. Alors, tout soudain et inévitablement, on se prend à rire, et à trouver que les moutons, décidément, sont des animaux délicieusement drôles. Et finalement très attachants. Quant à l’expression, vous l’aurez bien sûr deviné de vous-même... N’est-il pas ?

Bélier du Bestiaire d'Aberdeen (Écosse)

Mais passons sur mes passionnantes aventures de berger (sur lesquelles il y aurait encore à dire), et évoquons en quelques mots les vaches, injustement décriées par notre modernité, alors que les Hellènes, pour louer la beauté du regard d’une femme, disaient « boopis » (yeux de vache, l’équivalent de notre moderne « yeux de biche »). J’avoue aussi, avec cette manie que j’ai parfois de penser comme si je vivais en un autre siècle, avoir voulu complimenter une jolie jeune femme sur « ses beaux yeux de vache ». Je la croyais plus cultivée : je me suis fait souffleter de façon fort sonore, et embarrassante.

Revenons donc au démon de la littérature. Vous aurez compris, ce me semble, pourquoi en cette très verte contrée, sorti des moutons et des vaches, je me sois quelque peu... ennuyé. Il y avait certes une belle encyclopédie, et j’y ai appris par cœur la liste des trente-neuf présidents américains (nous devions être encore sous Reagan). Mais il me restait encore du temps à « tuer ». Et voilà pourquoi, alors que le ciel rencontrait la terre, en Irlande, ai-je pris ma plus magnifique plume, et entamé un long récit épique sur mon plus beau parchemin. En vérité, je me souviens que le papier était un listing vierge d’imprimante mécanique de l’époque, offert par un voisin qui ne savait qu’en faire. Et que mon stylo-plume écrivait en vert (j’ai aussi aimé écrire en rouge, ou en violet, le bleu et le noir me semblaient souvent trop tristement classiques).
Et c’est ainsi qu’est né Le Premier des Esclaves...

À suivre.


Sources iconographiques :
Bestiaire d'Aberdeen découvert via l'article Mouton de Wikipédia